Chez Rubel & Ménasché, on avait pour ambition, en lançant ce site Internet, d’appendre à mieux connaître l’industrie du diamant. Et de tout faire pour vous aider à mieux la comprendre ![:] Edahn Golan, analyste dont nous aimions publier les articles, a vogué vers de nouveaux horizons courant 2014. Mais nous avions encore envie d’avoir son sentiment sur l’industrie du diamant : on vous donne donc rendez-vous pour une interview en trois parties sur les subtilités du monde du diamant.
Voici donc la première partie d’un échange décomplexé.
Au sommaire : bilan de l’année 2014, enjeux actuels du secteur, difficulté à comprendre les prix des diamants bruts comme ceux du taillé et espoirs portés par cette année 2015 naissante.
– Bonjour Edahn, comment allez-vous ?
Je vais très bien, merci. L’année dernière a été bien remplie pour moi et fut donc très intéressante. Les questions au sujet de l’industrie diamantaire affluent de toutes parts, à l’initiative du secteur financier. De nombreux membres de notre industrie travaillent dur pour lancer des initiatives innovantes, ce qui est positif pour toute l’industrie des bijoux en diamants et nous ouvre un monde de possibilités.
– Il est inutile de vous présenter à nos lecteurs ! Ils ont l’habitude de vous lire dans nos colonnes et nous espérons que cela va continuer. Mais nous en reparlerons plus tard…
Alors, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Abordons l’année 2014 dans l’industrie diamantaire. À votre avis, de quoi devrions-nous nous souvenir ? Quelle pourrait être votre conclusion ?
L’année a été très inhabituelle pour l’industrie. Les prix du taillé ont été plutôt stables au premier semestre et ceux du brut ont permis aux fabricants d’obtenir de bons résultats. Toutefois, au second semestre, les prix du brut ont continué à se raffermir, tandis que ceux du taillé ont plongé, mettant les fabricants dans une situation très difficile. Parallèlement, le paysage a changé : baisse des financements, adoption de lois anticorruption en Chine, évolution des goûts des consommateurs américains, augmentation des diamants recyclés et des marchandises de laboratoire, etc. Chacun de ces facteurs a joué un rôle.
Les échanges, la fabrication et les prix des diamants sont tous subordonnés à la disponibilité du financement. La fermeture de la Banque diamantaire anversoise (ADB), des exigences plus strictes en matière de liquidités de la part des banques, ainsi qu’un environnement moins favorable aux prêts ont réduit le financement, en particulier pour les PME.
Les nouvelles lois anticorruption en Chine ont réduit les dépenses pour les « cadeaux », ce qui a pesé sur les ventes de bijoux en diamants, de montres et de whiskys haut-de-gamme en Chine. Aux États-Unis, il semblerait que les consommateurs en veuillent désormais « plus pour moins cher », achetant davantage d’articles à des prix plus bas. Cela va à l’encontre de la tendance constatée en 2008, et plus encore en 2009-2010, où l’on achetait moins mais plus cher. La tendance était à l’achat de cadeaux très précieux, comme de jolis bijoux en diamants. À l’époque, les tarifs étaient étonnamment élevés. L’année 2010 a été excellente pour l’industrie diamantaire.
Dans le même temps, les facteurs en jeu étaient moins importants, comme l’augmentation de la grosseur des diamants recyclés (en raison de l’augmentation du nombre de divorces et de la baisse des ventes forcées). Les diamants de laboratoire commencent également à apparaître comme des articles intéressants. Il leur reste beaucoup de chemin à parcourir pour se faire une place, mais ils sont en bonne voie.
[two_third]Il faut ajouter que tout n’est pas noir et qu’il y a eu de bonnes nouvelles. Les approvisionnements de brut d’ALROSA suivent le marché de près et sont principalement destinés aux acheteurs sous contrat, ce qui contribue à la stabilité du marché. L’industrie admet de mieux en mieux qu’elle a besoin de transparence et de nombreuses sociétés s’y adaptent. Une telle avancée permettra d’obtenir plus facilement des financements bancaires, mais aussi d’améliorer l’image de l’industrie aux yeux des consommateurs, principalement aux États-Unis et en Europe.
L’économie américaine se développe et j’espère qu’elle entraînera avec elle le reste du monde. Les dépenses en bijoux augmentent dans ce pays. La facture moyenne y est estimée à plus de 600 dollars par ménage.
[/two_third][one_third_last]
« L’industrie admet de mieux en mieux qu’elle a besoin de transparence et de nombreuses sociétés s’y adaptent. »
[/one_third_last]
– Alors, que peut-on espérer pour 2015 ? Des idées ?
[two_third]J’aimerais bien le savoir ! Mais je considère que certains points méritent toute notre attention. L’année commence avec un très gros problème d’approvisionnement en brut, notamment au niveau des prix, mais aussi en matière de composition des marchandises. Certaines catégories de brut sont demandées, d’autres pas. Dans ce contexte, l’ancien modèle d’offre contractuelle, qui établissait des années à l’avance les marchandises qu’un sightholder achèterait à la De Beers, devra peut-être être repensé. En ce qui concerne le taillé et la demande des consommateurs, les premiers indices seront donnés par les réapprovisionnements des boutiques entre le Nouvel An et la Saint-Valentin, à la mi-février.
Au niveau interne, à condition que le financement, les prix et la transparence s’améliorent, l’année partira sur de meilleures bases. En externe, la poursuite de l’amélioration de l’économie mondiale et la stabilité des environnements politiques permettront d’aboutir au même résultat.
[/two_third][one_third_last]
« L’ancien modèle d’offre contractuelle, qui établissait des années à l’avance les marchandises qu’un sightholder achèterait à la De Beers, devra peut-être être repensé. »
[/one_third_last]
– Au cours de ces dix dernières années, l’industrie diamantaire s’est transformée et a connu des changements importants. Selon vous, quelles sont les plus grosses difficultés qu’elle doit affronter à l’heure actuelle ?
Il est essentiel d’investir dans le marketing. Je n’ai aucun conseil intelligent à donner sur la manière de procéder, mais si nous observons la consommation totale d’articles de luxe, nous voyons que la part de marché des bijoux en diamants diminue, et c’est bien dommage, quand on connaît leur durée de vie. Les parfums s’évaporent, les voitures perdent de la valeur, les sacs à main s’usent et les chaussures se ternissent – mais les bijoux en diamants résistent à l’usure du temps. Ils ont donc un avantage par rapport à de nombreux autres articles de luxe. C’est pourquoi ils devraient avoir une part de marché croissante et offrir à leurs propriétaires de nombreuses années de passion !
– Vous savez, je suis toujours surprise par les particularités du système de tarification des diamants et l’effet qu’a le marché du brut sur celui du taillé !
Voilà bien l’énigme de notre industrie ! Plusieurs aspects complexes entrent en jeu quand la De Beers et ALROSA fixent les tarifs du brut. Ils tiennent compte des prix du taillé, des premiums payés par le marché secondaire (lorsqu’ils augmentent, les miniers augmentent les prix), du coût de la taille, des résultats des tenders et d’autres données. Ils regardent également leurs propres dépenses, comme les coûts de la main-d’œuvre et de l’énergie, sans oublier les attentes de leurs actionnaires. Enfin, ils appliquent un facteur mystérieux, celui de « l’instinct ». Il peut les amener à augmenter ou diminuer les prix en fonction de leur expérience ou de leurs souhaits.
Si l’on considère tous ces facteurs, les prix du brut devraient baisser car les prix du taillé reculent, les premiums sont proches de zéro, les cours du pétrole en repli et les tenders n’offrent pas de résultats optimistes.
Quant au taillé, il est important, au moment de changer les prix, de savoir si les détaillants sont prêts à payer plus. C’est ce qu’on pourrait qualifier de bizarrerie. Ils acceptent les variations des prix de l’or et de l’argent comme un fait établi, quasiment un cas de force majeure, mais ils les rejettent en bloc pour les diamants. C’est aussi pour ça que l’industrie a tant besoin de transparence. L’interaction entre les prix est donc une voie à double sens.
– Que pensez-vous de cette tendance, encouragée par la De Beers, et tentée autrefois par ALROSA, qui consiste à diversifier ses activités ?
Nous voyons qu’ALROSA se recentre. Elle a vendu sa chaîne hôtelière et ses participations gazières et racheté plusieurs ressources diamantaires ces deux dernières années. La De Beers a toujours eu de nombreuses activités associées et s’est un peu étendue ces derniers temps, en créant le programme de rachat des diamants recyclés, par exemple. Il s’agirait avant tout d’une question de philosophie commerciale.
– Alors, qui seront les acteurs diamantaires les plus importants à l’avenir – et pas seulement dans un avenir proche ?
Ce sera probablement une société qui comprend très bien l’ensemble de la filière et sait offrir la meilleure valeur ajoutée à ses clients, tout en gérant efficacement son fonctionnement interne.
S’il s’agit d’une société intégrée, le principal acteur diamantaire sera une structure qui sait acheter et vendre du brut au bon prix, le tailler correctement, créer des bijoux au design facilement identifiable et proposer une excellente expérience dans les boutiques.
Pour un acteur du segment, cela nécessitera un contrôle strict de sa comptabilité, voire une société auto-financée, qui ne se repose que très peu sur les prêts et le crédit bancaire. Dans des périodes de grandes transitions, les sociétés agiles évoluent, tandis que les autres coulent, et cela vaut également pour les diamants.
Edahn Golan & Marianne Riou