La décision prise par huit grands groupes de boycotter la prochaine assemblée du World Diamond Council à Anvers constitue un lourd affront pour l’industrie [:]– et si aucune tentative sérieuse n’est faite pour apaiser les tensions, elle aura des répercussions négatives et profondes. Le World Diamond Council est l’un des groupes les plus importants de l’industrie – peut-être même le plus important –, mais il risque de rencontrer des difficultés à la représenter après un tel fiasco.
Depuis que la World Federation of Diamond Bourses a annoncé ce boycott le 27 octobre – le communiqué on ne peut plus laconique se trouve ici –, beaucoup de personnes m’ont demandé ce que cela signifiait réellement. Le communiqué de la WFDB évoquait la décision des dirigeants d’autoriser les consultants anversois Gemdax à mener une étude auprès des membres du WDC à propos des « diverses difficultés éthiques, légales et financières que rencontre le Kimberley Process. »
« Toute une série de facteurs de risques et de situations a affecté, et continue d’affecter, l’ensemble de la filière », a affirmé Stephane Fischler, un membre du conseil, dans un e-mail adressé au conseil d’administration du WDC. « L’objectif de cette étude en deux parties n’est rien moins que de rechercher les zones à risque et diverses approches pour les contrecarrer. »
Par conséquent, le différend porte, en premier lieu, sur une simple étude. C’est bien peu. (Pourtant, allez savoir pourquoi, rien n’effraie plus certains membres de l’industrie que les études et les enquêtes.) Par ailleurs, des tensions bouillonnent au sein du conseil depuis un certain temps, à propos de ce que les frondeurs considèrent comme de l’autoritarisme de la part de la direction actuelle, plutôt «réformatrice ». Je pourrais vous énumérer les différents combats et affronts, mais je vous les épargnerai, tant pour votre tranquillité d’esprit que pour la mienne. Il suffit de rappeler que certains membres du conseil ont considéré que la décision de lancer ce sondage a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ils affirmaient qu’elle leur avait été présentée comme un fait accompli, sans qu’ils aient leur mot à dire. Ils craignaient en outre que, puisque le WDC recouvre désormais les cotisations des membres, l’équilibre du groupe ne bascule inexorablement vers les plus gros acteurs, généralement en faveur des réformes.
Or, être leader implique de parvenir au consensus en tendant la main à ceux qui sont en désaccord, même si vous pensez qu’ils se montrent déraisonnables. Parfois, le dialogue, même houleux, peut être utile. Et les gens nous surprennent souvent. Il est donc important de sortir de sa zone de confort, exercice dont les dirigeants sont peu friands.
Ceci dit, il est dans la nature humaine de considérer que ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont arrogants et fermés. Nous constatons cela tous les jours dans le monde politique. Et, ne vous y trompez pas, il existe de vrais désaccords et il n’est pas certain qu’une main tendue permette de les régler.
Ce n’est pas un hasard si les personnes impliquées dans ce boycott n’étaient pas en faveur des dirigeants actuels, ni que les mêmes accusations aient été proférées au cours des trois dernières escarmouches au sein de l’industrie. L’accent quasi-constant mis sur les problèmes de procédure semble être un os à ronger, bien commode pour ne pas parler des sujets qui fâchent.
Soit dit en passant, le Kimberley Process a été créé parce qu’un groupe – l’International Diamond Manufacturers Association – a agi dans le dos d’un autre – la WFDB – pour conclure un accord avec les ONG. La WFBD était furieuse, mais tout le monde a fini par signer car l’industrie avait un pistolet sur la tempe. S’il n’y avait pas eu cette menace, la création du KP se serait-elle enlisée dans des conflits similaires, pour savoir qui avait été consulté à quel moment ? Quel message cela envoie-t-il à l’extérieur sur les motivations de notre industrie ?
Revenons à aujourd’hui : les membres de l’industrie dans des régions comme l’Inde et Dubaï restent sceptiques face à certains programmes de transparence proposés par les membres du secteur aux États-Unis et en Europe, ainsi que par les grandes sociétés minières (en particulier celles qui ne traitent pas avec les États-Unis et l’Europe). Mais plus encore que d’être sceptiques, ils ont peur. Ils s’inquiètent que certaines de ces initiatives – entraînées en partie, mais pas uniquement, par des acteurs de poids – pèsent davantage sur les sociétés et évincent les petites structures de l’industrie. Certains frondeurs craignent même que la direction du WDC ne prépare quelque chose en coulisses, que cette étude ne représente en fait une extension non officielle de la charte du KP pour dépasser les diamants du conflit. Cela lancerait un programme plus général, qui toucherait toute l’industrie. Les sources au WDC avec qui je me suis entretenu nient fermement.
Je connais la plupart des personnes impliquées ; ce sont généralement des personnes raisonnables et affables, qui devraient être capables de s’entendre. Ce boycott jette de l’huile sur le feu, de façon inutile, et il affaiblit le WDC, non seulement aujourd’hui, mais aussi à l’avenir. Un précédent est désormais établi : si un groupe est en désaccord avec la direction du WDC, il est désormais admis qu’il n’en parle pas et qu’il parte. Il sera peut-être difficile maintenant de diriger le WDC et n’importe quel groupe de l’industrie.
Les huit groupes avaient des moyens d’éviter l’action qu’ils ont entreprise. Ils auraient pu signer une pétition, envoyer un communiqué de presse (plus précis et plus informatif), appeler à un vote de défiance, inscrire leurs inquiétudes à l’ordre du jour, assister aux assemblées mais partir avant le dîner… Pourtant, leur absence donne à penser qu’ils ont peur d’aborder ces sujets. Peut-être est-ce leur objectif. Pour l’instant, tout le monde parle du boycott au lieu d’aborder les problèmes bien plus importants à l’ordre du jour.
Pourtant, il est plus que logique que ces questions soient traitées, chose difficile à faire si personne ne parle. Ceux qui ont été élus pour servir l’industrie doivent se hisser au-dessus des craintes et des bisbilles et travailler ensemble pour améliorer ce secteur, et non pour l’humilier. J’ai déjà déploré la triste absence de leadership dans l’industrie. Nous arrivons peut-être aujourd’hui au comble de la tristesse.