De prime abord, il serait logique que le Panama devienne un nouveau centre d’échanges de diamants. De la pointe sud de l’Argentine, assez proche du pôle Sud, jusqu’au Mexique, en incluant les Caraïbes, impossible de trouver la moindre bourse diamantaire. [:]Selon certaines estimations, il existe pourtant un marché, dont les ventes de bijoux en diamants sont estimées à environ 8 milliards de dollars… Un vaste territoire à exploiter pour les diamantaires et les joailliers.
Le Panama Gem & Jewelry Center, associé à la bourse du diamant du Panama, la seule affiliée au WFDB dans la région, a été conçu dès le départ pour jouer le rôle de cette infrastructure manquante.
La région comprend encore pourtant plusieurs nations à l’économie solide, avec une classe moyenne importante et de nombreux résidents fortunés, même si le boom des matières premières a connu un certain ralentissement après la crise financière de 2008.
Dire que la région dispose d’un énorme potentiel inexploité serait un euphémisme. L’économie latino-américaine devrait progresser au rythme de 4,6 % par an, à partir de cette année, et ce jusqu’en 2030, dépassée uniquement par les pays asiatiques en développement.
Même les tout-puissants États-Unis ne devraient progresser que de 3 % par an sur la même période. Les pays de l’Union européenne devraient eux profiter de 2,4 % et le Japon d’un bien maigre 0,6 %.
L’Amérique latine devrait également afficher un PIB annuel combiné de 10 700 milliards de dollars d’ici 2020, l’équivalent de 9 % du PIB mondial et le double de celui de 2010. Pour situer les choses, le PIB de la Chine l’année dernière s’élevait à 9,6 milliards de dollars, celui des États-Unis était de 16,7 milliards de dollars.
L’industrie internationale des diamants et des bijoux n’a jamais vraiment montré d’intérêt pour le marché latino-américain. Il faut dire que la région ne dispose pas des infrastructures d’échanges qui sont évidentes sur les autres grands marchés, ce qui a nui à ses performances.
La région a également pâti d’une mauvaise réputation internationale associée aux terribles crimes contre les droits de l’homme, survenus dans plusieurs pays d’Amérique du Sud jusqu’il y a 20 ans en arrière environ.
D’après les participants présents lors du lancement du Panama Gem & Jewelry Center en mars, il ne s’agit bien sûr pas du seul facteur à cause duquel les sociétés occidentales n’ont pas jugé bon d’investir dans la région. « Soyons honnêtes, nous ne travaillons généralement que sur des marchés établis, dans des pays assez proches de nos bureaux, qui font les gros titres pour les bonnes raisons et où nous savons que nous pouvons nous faire comprendre facilement en anglais, a expliqué un représentant d’une société belge. Pour nous, il s’agit essentiellement de l’Europe, des États-Unis, de l’Inde, de la Chine et de certaines régions d’Extrême-Orient. »
« Dans ce métier, nous avons tous l’habitude de beaucoup voyager mais nous voulons aussi pouvoir nous rendre sur un marché d’exportation avec un vol sans escale, d’une dizaine d’heures environ, si possible. Depuis l’Europe, de nombreux coins d’Amérique du Sud sont accessibles par vol direct. Mais ce n’est pas le cas partout. »
« Il y a aussi le problème, disons-le, de « l’environnement politique » en Amérique du Sud. Bien que la situation se soit beaucoup améliorée, bon nombre d’entre nous se souviennent des années 70 et 80, des terribles régimes politiques au pouvoir et des crimes qui ont été commis. Aujourd’hui, que ce soit juste ou non, si vous évoquez l’Amérique du Sud et le Mexique, les gens pensent immédiatement aux violations des droits de l’homme, à la drogue et au blanchiment d’argent. Il faudra du temps pour qu’ils ne fassent plus cet amalgame. »
Rapport du Fonds monétaire international
En matière de blanchiment d’argent, le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI), publié en janvier de cette année, était plutôt défavorable au Panama. Ses commentaires indiquaient notamment :
Le Panama est un pays à risque en ce qui concerne le blanchiment d’argent provenant de plusieurs sources comme le trafic de drogue et autres infractions majeures commises à l’étranger, telles que la fraude et les délits financiers et fiscaux. Le Panama est également un lieu de passage pour le trafic de drogue en provenance des pays d’Amérique du Sud, avec certains des plus hauts niveaux de production et de trafic de drogues au monde. Ces facteurs induisent un risque élevé que le pays soit utilisé pour le blanchiment de capitaux.
Le Panama a érigé en crimes le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme mais son cadre de lutte en la matière (AML/CFT) n’est pas totalement conforme aux recommandations du GAFI. Les statistiques sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations en matière de blanchiment d’argent sont inefficaces pour évaluer correctement l’efficacité de la mise en œuvre de la législation sur le blanchiment des capitaux et la lutte contre le terrorisme.
Aucune loi ne régit le négoce de pierres et métaux précieux, a expliqué le FMI dans le rapport. Il n’existe aucun système de régulation pour la lutte contre le blanchiment d’argent et aucune information n’est disponible sur la taille du marché.
Il n’existe pas de mesure en matière d’AML/CFT ni de surveillance des négociants de pierres et métaux précieux.
Les échanges de pierres et métaux précieux représentent également une activité d’importance, notamment dans la zone franche de Colon. Néanmoins, ils ne sont pas soumis au régime de la Loi AML.
Le rapport du FMI recommande de suivre les recommandations du GAFI et d’inclure notamment, dans le régime AML/CFT panaméen, les négociants de pierres et métaux précieux.
En revanche, Cecilia L. Gardner, présidente et PDG du Jewelers Vigilance Committee, qui était invitée au lancement du Panama Jewelry Center et qui s’est entretenue avec les promoteurs du projet, s’est déclarée « convaincue que les promoteurs et le gouvernement du Panama sont au courant des risques de blanchiment d’argent auxquels ils sont confrontés sur ce marché, étant donné leur situation géographique. Ils connaissaient le rapport du FMI mais ils n’ont pas adapté leurs activités à ses conclusions, car leurs politiques avaient été élaborées bien avant sa publication. »
« Ainsi, par exemple, les promoteurs de la Gem Tower m’ont dit qu’ils prévoyaient d’obliger tous les locataires à utiliser des systèmes bancaires conventionnels (plus de transactions en espèces) et d’imposer des rapports complets pour toutes les transactions. Cela va bien au-delà de ce qu’exige la loi locale et encore plus loin que ce qu’exige la loi américaine. La formalité fera partie des procédures pour tous les locataires qui signent un bail. »
« Le gouvernement les soutient et envisage même d’adopter leurs exigences AML dans des procédures internes fiables, applicables à tous les négociants, afin éviter que leurs activités ne soient utilisées pour le blanchiment d’argent. »
« Bien entendu, cette information s’appuie sur les déclarations que m’ont faites des représentants du gouvernement et des promoteurs lors de réunions. Je n’ai vu aucune « preuve » que ces stratégies ont déjà été appliquées (je ne connais aucun locataire qui ait dû signer un bail) mais c’est certainement dans les tuyaux et c’est un sujet sur lequel ils travaillent. C’est certainement bon signe. »
L’industrie des diamants et des bijoux peut-elle gagner de l’argent sur le marché sud-américain ? Le Panama est-il un pays « fiable » ? Lors d’une récente visite, la capitale m’a immédiatement rappelé Hong Kong et Dubaï : c’est un endroit dynamique, sans cesse en mouvement, et certainement pas une province arriérée et engorgée.
Côté professionnel, la région affiche à l’évidence un énorme potentiel. Pour les sociétés suffisamment à l’aise financièrement pour apprendre à connaître la mentalité locale et ses joailliers, l’Amérique centrale et du Sud pourrait effectivement devenir une nouvelle manne commerciale. Étant donné la saturation des marchés américain, européen et asiatique, c’est plutôt une bonne nouvelle.