Les chroniqueurs agissent parfois de la plus étrange des façons, par exemple en écrivant des rubriques sur des sujets qu’ils connaissent à peine, voire pas du tout. [:]Ils balancent des chiffres pour corroborer leurs assertions et, ce faisant, provoquent des dégâts. Une chronique de ce genre a été publiée il y a deux semaines dans le New York Times, sous le titre : « When Diamonds Are Dirt Cheap, Will They Still Dazzle? » (Quand les diamants coûteront moins que rien, brilleront-ils toujours ?) L’article a fait naître des craintes à Mumbai et à Anvers : des diamants de laboratoire trop bon marché seraient disponibles et les clients ne voudraient plus acheter de diamants naturels.
Les diamantaires craignent que ces idées n’éloignent les consommateurs des diamants – naturels ou de laboratoire – en tant qu’articles de luxe. Après tout, quel luxe y a-t-il à acheter un article « qui coûte moins que rien » ?
Commençons par la conclusion : l’article est inconséquent, mal informé et le seul chiffre qui y soit indiqué – « des pierres Flawless de deux carats disponibles pour seulement 25 dollars » – est une donnée imaginaire, sortie de nulle part et dépourvue de tout justificatif ou de toute explication. Rien à voir avec les chiffres documentés auxquels on pourrait s’attendre de la part d’un professeur d’économie réputé de l’université de Cornell.
Robert H. Frank, l’auteur de l’article, est un professeur d’économie qui a écrit plusieurs livres sur le sujet, dont un ouvrage intitulé Passions Within Reason (La passion qui sous-tend la raison), dans lequel il explique que les émotions ont un impact sur nos prises de décisions, même lorsque nous savons qu’elles sont irrationnelles. En serait-il ainsi lorsque nous achetons un article de luxe ?
Bien qu’il comprenne que la passion influe sur l’achat d’un article de luxe, Robert H. Frank passe à côté de beaucoup de choses dans son article. Il qualifie les diamants de laboratoire de copies (ce qu’ils ne sont pas), il pense que les diamants sont rares à cause de la politique de la De Beers (la De Beers n’est limitée que par sa capacité d’extraction et par la capacité du marché à acheter des marchandises. Le marché est dirigé par la demande, et non par l’offre.) Il cite d’anciennes données à propos d’Apollo Diamonds et les qualifie de nouvelles technologies. Il affirme que seul un expert est capable de distinguer un CZ d’un vrai diamant et proclame que les diamants de laboratoire ne sont identiques aux marchandises extraites qu’au plan visuel.
Bien sûr, un professeur d’économie n’est pas un gemmologue et peut ne pas être spécialiste en minéraux. En revanche, rien ne l’autorise à écrire sur un ton autoritaire, dans l’un des journaux les plus prestigieux au monde, sur un sujet qu’il ne semble pas bien maîtriser. Il aurait tout au moins pu faire son travail ; ce qui n’est pas le cas.
Ce qui est drôle, c’est que le professeur Robert H. Frank est l’auteur d’un livre, publié en 1999, intitulé Luxury Fever (La fièvre du luxe) relatif à l’économie des produits de luxe. Là encore, il est clair qu’il ne comprend pas le secteur du luxe. Dans son excellent article, When the Times doesn’t dazzle (Quand le Times ne brille pas), ma collègue Michelle Graff démolit la plupart de ses assertions, démontrant aux détaillants que la presse professionnelle, qui se spécialise dans l’industrie, leur est plus utile.
Le professeur Frank compare les diamants naturels aux beaux-arts. Il affirme que les avancées technologiques permettent de créer d’excellentes copies et qu’il est parfois difficile de différencier les vrais diamants des répliques. Toutefois, personne ne versera 100 millions de dollars pour une copie d’un Picasso, quelle que soit sa qualité, ajoute-t-il à juste titre. Pourtant, il a tort de penser que les diamants de laboratoire sont des copies de diamants naturels (ce n’est pas le cas, ce sont des minéraux créés dans des conditions différentes). Néanmoins, si c’était le cas, la même logique s’appliquerait – les diamants extraits d’une mine seront toujours assortis d’un premium, contrairement à leurs reproductions.
Le professeur Frank fait l’impasse sur un point important. Qu’adviendra-t-il des diamants de laboratoire lorsque leur technologie de production s’améliorera ? La réponse est la suivante : la même chose qu’avec tous les produits issus de la technologie – la qualité augmente et le prix diminue. Pour les diamants de laboratoire, les développements technologiques donneront des diamants plus gros, de bonne qualité, qui coûteront moins cher – et seront sans doute vendus moins chers. Cela ne signifie pas que le prix des diamants naturels sera lui aussi tiré vers le bas. Simplement, une différenciation aura lieu.
Pour toute catégorie de produits, il existe des versions haut de gamme, milieu de gamme et bas de gamme. Il existe des montres Patek Philippe qui valent des centaines de milliers de dollars, des montres Rolex qui se vendent quelques dizaines de milliers de dollars, des montres Seiko qui valent quelques centaines de dollars, et d’autres encore qui se vendent pour quelques dizaines de dollars. Chacune a sa clientèle, sa qualité, sa réputation et son attrait. Il en va de même pour les diamants. À mesure que les diamants de laboratoire gagneront en parts de marché, ils vont créer leur propre niche – et non remplacer la niche supérieure, occupée par les diamants naturels.
Rappelez-vous qu’il ne s’agit pas de diamants industriels ou de pièces détachées de voitures. Il s’agit d’articles de luxe qui s’achètent sous le coup de la passion et de l’émotion ! Robert H. Frank admet, dans son ouvrage Passions Within Reason, que, dans ces circonstances, la logique économique est mise de côté.
En ce qui concerne le Flawless de 2 carats à 25 dollars mentionné par le professeur Frank, il convient simplement de souligner que ce dernier n’est pas un connaisseur de l’économie de l’industrie diamantaire. Il n’explique jamais comment il est arrivé à ce chiffre, et c’est bien malheureux.
Dans la même veine, deux autres grands quotidiens britanniques, The Telegraph et The Guardian, ont récemment publié des articles mal documentés sur l’industrie, citant des sources peu reluisantes. Naturellement, ils en tiraient des conclusions erronées. Leur point commun, c’est qu’ils trompent les lecteurs et donc les consommateurs.
En revanche, il y a plus de monde qui suit l’actualité des stars que de personnes qui lisent le New York Times. Cela signifie que la plupart des gens n’ont ni lu ni entendu parler de l’article de Robert H. Frank. Pourtant, partout dans le monde, les consommateurs suivent avec intérêt la demande de fiançailles faite par Georges Clooney à sa fiancée avec une bague en diamants – un diamant naturel taille émeraude de 7 carats, extrait de façon éthique, serti dans du platine, et entouré de deux baguettes coniques, selon les observations.
Cette bague attire beaucoup plus l’attention et fera un travail de relations publiques hautement positif pour les diamants. Je suppose que les tailles émeraude vont largement gagner en popularité !