« Pour nous, l’avenir des diamants passe par les marques. »
Philippe Mellier, président directeur général de la De Beers (Israël – 26 juin 2013).[:]
« L’exemple de l’achat de [la mine] Ekati à et de la vente de l’activité de détail de Harry Winston, par Dominion, montre un parti pris évident, entre la production et le marketing »,
Fiodor Andreïev, président directeur général d’ALROSA (Angola – 20 juin 2013).
Le secteur minier des diamants présente deux visages, chacun avec une stratégie claire, mais différente, sur la façon de renforcer sa position sur le marché. Les producteurs pure play, ALROSA en tête, cherchent à générer de la valeur en favorisant les volumes de production et en fonction des prévisions de montée des prix. Quant à la De Beers et Rio Tinto Diamonds, ils font appel à des initiatives de marque fortes pour tenter de stimuler la croissance.
Bien entendu, ce sera à leurs actionnaires respectifs de se prononcer sur l’impact de ces stratégies. Mais le marché lui-même devrait s’interroger sur la valeur ajoutée que chacune peut apporter à l’industrie. Le marché du taillé doit évaluer sa relation avec les fournisseurs de brut, étant donné les prix élevés et les marges serrées des fabricants.
Étudions d’abord les différents acteurs.
ALROSA insiste sur son potentiel de production, dans l’attente de son introduction en bourse, prévue pour le quatrième trimestre 2013. La société basée en Russie prévoit de porter sa production annuelle de 34,4 millions de carats en 2012 à 38 millions de carats en 2020. Avec son estimation « prudente » d’une hausse des prix du brut de 3 % par an, la direction d’ALROSA affirme que son chiffre d’affaires dépassera celui de la De Beers dans les cinq ans.
À l’instar d’ALROSA, la plupart des sociétés minières cotées, de taille moyenne, augmentent leur production. Elles comptent dans leurs rangs Dominion Diamond Corporation, axée sur le Canada (anciennement Harry Winston Diamond Corp.) et Petra Diamonds, axée sur l’Afrique du Sud. Chacune a considérablement augmenté son portefeuille minier récemment, en se désintéressant de tout investissement en marketing. Dominion a acheté la mine Ekati de BHP Billiton, puis vendu ses activités de détail Harry Winston à Swatch. Petra a acheté plusieurs actifs de la De Beers, dont les mines emblématiques de Cullinan et Finsch.
Il est fort possible que leurs structures actionnariales influencent leurs stratégies respectives.
Bob Gannicott, le PDG de Dominion, a expliqué, dans une récente interview avec le JCK Magazine, que les sociétés publiques rencontraient de grandes difficultés à maintenir une double identité. « En termes commerciaux, l’intégration verticale fonctionne très bien. Notre achat de Harry Winston a été très rentable pour nous, a-t-il affirmé. Mais, sur le marché boursier, vous avez soit un analyste du secteur minier, soit un analyste des produits de luxe. En tant que société privée, je n’hésiterais pas à combiner les activités. En tant que société publique, c’est plus difficile. »
Face aux investisseurs potentiels, les entreprises d’extraction ont un argumentaire de vente relativement simple. Avec une offre mondiale limitée et une demande croissante des consommateurs, les prix vont augmenter à long terme. La valeur d’une société sera déterminée par son potentiel de production.
Certes, la De Beers et Rio Tinto ont fixé un programme de même calibre, et elles ont le volume de production suffisant pour le faire. Elles complètent malgré tout leur production par de nombreuses activités de marketing et de marque.
On pourrait avancer que le développement constant des marques de Rio Tinto, au cours des 15 mois où la société a fait l’objet d’un examen, a influencé sa décision de conserver l’unité. Il faut noter que le groupe continue de vendre d’autres actifs non essentiels.
Il est également possible qu’il n’y ait tout simplement pas eu suffisamment de prétendants à l’achat de l’activité diamantaire. Or, aux yeux de l’industrie, cette décision montre un choix clair entre le marketing et la production.
Ce qui différencie la De Beers et Rio Tinto Diamonds d’autres sociétés de l’industrie, c’est leur appartenance à des conglomérats. Elles peuvent ainsi disposer d’une certaine flexibilité pour poursuivre leurs efforts respectifs de marketing. Après tout, les analystes ne les considèrent pas comme des entités à part entière, mais plutôt comme des divisions d’Anglo American et du groupe Rio Tinto. Là encore, il est possible que ce soit les sociétés-mères qui établissent les programmes.
Reste à savoir ce que des groupes miniers ciblés, comme Anglo American et Rio Tinto, ont à gagner de ces initiatives de marque. Quelle valeur ces créations de marque et activités marketing apportent-elles aux groupes ? Peut-être est-ce leur rôle historique de marchands qui a incité Anglo à augmenter sa participation dans la De Beers et Rio Tinto à conserver son unité de diamant.
La stratégie de Rio Tinto, constituée notamment de son initiative « Diamonds with a Story » et de la marque Nazraana, qui fait la promotion des cadeaux en diamants en Inde, génère moins de revenus. Par le passé, la société s’est également trouvée à la tête d’une campagne de marketing générique, à l’échelle de l’industrie.
La De Beers se concentre sur Forevermark, sa marque haut de gamme, après avoir renoncé à son rôle dans le marketing générique. Forevermark tire ses bénéfices de ses services d’inscription et de certification. Ses partenaires de fabrication et de vente au détail lui règlent également des redevances annuelles. Enfin, un projet prévoit de développer le service de certification Forevermark aux diamants non Forevermark. Le montant possible de ces revenus n’a pas encore pu être déterminé, ni la proportion qu’atteindra cette activité à long terme pour la De Beers.
Ce qui apparaît évident, c’est l’intention de la De Beers d’étendre la portée de Forevermark, en termes de vente au détail. Philippe Mellier, le PDG de la De Beers, a précisé que la marque est actuellement présente dans près de 1000 magasins dans le monde, dont environ 350 aux États-Unis. Il a ajouté que de nouveaux sightholders s’associaient à eux, dans le but de tailler des diamants pour Forevermark.
Certains sightholders craignent que Forevermark n’entre en concurrence avec leurs propres initiatives de marque. Il existerait alors un conflit possible entre l’acheteur et le fournisseur. Philippe Mellier s’inscrit en faux. Il rappelle que Forevermark, tout comme les campagnes de la De Beers, avec sa promotion « Center of My Universe » en 2012, ont fait le buzz autour des diamants et donné un coup de fouet à la demande globale.
Étant donné l’absence de marketing générique, ce sont de bonnes nouvelles pour l’industrie. Il est certain qu’une marque concurrentielle avive l’intérêt des consommateurs dans le monde. Il sera particulièrement intéressant de découvrir l’impact de la nouvelle campagne grand public de Rio Tinto en Inde pour Nazraana (annoncée cette semaine), face aux résultats des vastes campagnes publicitaires de Forevermark, Tanishq ou Gitanjali. Des combats similaires naissent aux États-Unis, en Chine, au Japon et sur d’autres marchés de consommation.
Comment peut réagir le marché du taillé face à une société minière qui traite avec le consommateur final ? Quelle réaction, sachant que des acteurs aussi imposants qu’ALROSA, Dominion et Petra Diamonds n’ont pas de rôle à jouer pour stimuler la consommation ? En fin de compte, quel sera l’effet sur les prix et les marges bénéficiaires dans le reste de la filière ?
Il ne fait aucun doute que l’objectif des sociétés minières, lorsqu’elles optent pour l’une ou l’autre de ces stratégies, est de faire grimper les prix du brut. Il apparaît pourtant que la De Beers et Rio Tinto sont les seules à investir, de façon transparente et active, pour atteindre cet objectif.
Or, quelle que soit leur philosophie, les deux côtés du secteur minier ont au moins une idée claire de la route à suivre pour se développer et maintenir leurs positions de choix sur le marché. Cet aspect est totalement absent du segment du taillé. Ces dernières années, ce marché a été confronté à des prix élevés du brut et à la prudence de leurs interlocuteurs. Reste aux sociétés de ce secteur à se faire concurrence et à se créer leur propre valeur ajoutée. Dans le cas contraire, elles devront supporter une pression continue et la domination de leurs pairs miniers, des entités bien huilées.