L’Angola est en quête d’investisseurs pour son industrie diamantaire. Ce faisant, le pays entend se vendre comme un environnement accueillant, dénué de tout conflit.[:] Actuellement en lice pour reprendre la présidence du Kimberley Process (KP) en 2015, il validerait ainsi ses affirmations. Parallèlement, l’Angola continue de repousser toujours plus loin les craintes liées à son bilan en matière de droits de l’homme.
À l’occasion de la Conférence angolaise pour le centenaire du diamant à Luanda, le pays célébrait, la semaine dernière, les 100 ans de son extraction diamantaire. Les nombreux membres du gouvernement qui se sont exprimés ont donc fait preuve de cohérence à cet égard. Le gouvernement angolais est déterminé à ce que le secteur diamantaire apporte de la valeur ajoutée à l’exploitation minière et contribue à la diversification de son économie et à son développement durable. L’Angola met aussi en avant son potentiel d’extraction avec d’importantes ressources inexplorées, et encore disponibles.
Manuel Domingos Vicente, vice-président de l’Angola, a souligné que le développement de l’industrie du diamant est une priorité dans le pays pour les dix ans à venir. Son gouvernement a élaboré un plan géologique stratégique, destiné à développer le secteur des minéraux jusqu’en 2025. Son souhait est de l’intégrer dans l’industrie légitime du diamant.
Certes, la conférence a permis de ramener l’industrie internationale à de meilleurs sentiments pour l’Angola et son gouvernement, mais elle n’a pas réussi à répondre à certaines questions d’intérêt sur le commerce du pays.
L’Angola apparaît toujours un peu comme un mouton noir, peu connu dans l’industrie. Nombre de ceux qui ont assisté à la conférence espéraient en apprendre davantage. Leurs interrogations portaient sur la filière suivie par les produits que vend la société minière publique ENDIAMA, par l’entremise de sa filiale Sodiam. Qui achète, comment et quand ?
Selon le rapport annuel rendu par le pays au KP en 2011, environ 47 % de ses exportations de brut en valeur étaient destinés à Dubaï, 22 % à Israël, 19 % à la Suisse et environ 4 % à la Communauté européenne, dont la Belgique. Le reste était envoyé à d’autres pays. Dubaï semble renforcer sa présence en Angola ; le Dubai Diamond Exchange (DDE) a ainsi été l’un des principaux parrains de la conférence du centenaire.
Il faut également remarquer qu’aucun représentant de la société civile n’était prévu à l’ordre du jour. Les délégués n’ont eu pour seul choix que de croire le gouvernement sur parole quand il a affirmé que le secteur fonctionne de manière éthique et efficace.
L’argument reste difficile à admettre, compte tenu du passé du pays, entaché par la guerre, et marqué par les diamants du conflit. D’ailleurs, il a fallu la guerre civile d’Angola, dans les années 90, pour faire naître le premier embargo sur les diamants et voir l’introduction du certificat d’origine du brut en 1998. Lors de ce conflit, les rebelles de l’UNITA avaient pris le contrôle des zones diamantifères alluvionnaires, le long de la rivière Kwango.
Ces certificats n’étaient certes pas infaillibles pour empêcher les diamants du conflit angolais d’entrer sur le marché. Mais Mark Van Bockstael, président d’un groupe de travail au KP, composé d’experts en diamants, le remarque : « Ce sont les ancêtres de tous les certificats d’origine que l’on utilise aujourd’hui ». Ils ont servi de fondations pour créer le KP quelques années plus tard.
En mettant fin au conflit en 2002, le pays a parcouru un long chemin. Et peu importe ce qui manquait à la conférence, cet événement de deux jours a fait apparaître certains développements importants réalisés en Angola.
Son nouveau code minier a été promulgué en 2011. Il vise à moderniser et simplifier les règles de surveillance de l’exploration et du développement minier dans le pays. Ce code est jugé bien plus favorable aux investisseurs que les précédentes réglementations.
Les diamants restent très importants pour l’économie de l’Angola. Ils représentent en effet le deuxième produit d’exportation après le pétrole. Malgré tout, il ne pèse que pour 2 % dans le total des exportations, le pétrole obtenant une part de 97 %.
Il n’est donc pas étonnant que le pays cherche à diversifier son économie et se tourne vers les diamants pour y parvenir. Témoin des expériences de ses voisins du Sud, le Botswana et la Namibie, Manuel Domingos Vicente a annoncé l’intention de son pays de se développer dans le secteur de la fabrication de bijoux et celui de la taille de diamants. Ces programmes n’ont toutefois pas fait l’objet d’explications détaillées lors de la conférence. Des doutes demeurent quant aux débouchés précis pour ce secteur en Angola.
L’accent a davantage été mis sur son potentiel minier. La De Beers, comme ALROSA, explorent l’Angola à la recherche de diamants. Elles ont reçu pour mission de développer le potentiel inexploité du pays.
Charles Skinner, le directeur de l’exploration à la De Beers, a estimé que 90 % de la superficie potentielle en Angola demeure inexplorée. Quant à Fiodor Andreïev, le directeur général d’ALROSA, il a déclaré, à l’occasion de la conférence, que les chances étaient grandes de découvrir de nouveaux gisements. La géologie de Lunda-Nord est en effet similaire à celle du territoire russe de Nakyn, où des cheminées de kimberlite couvertes ont été découvertes ces 10 à 15 dernières années. ALROSA a formalisé ses intentions en créant une co-entreprise avec ENDIAMA lors de la conférence. Cette structure est destinée à assurer l’exploration en Angola.
Aujourd’hui, environ 86 % de la production de l’Angola provient de la mine de Catoca, qui appartient pour 32,8 % à ENDIAMA, 32,8 % à ALROSA, 16,4 % à la société brésilienne Odebrecht et 18 % à la société chinoise LLI Holding. Sa production en 2012 a reculé de 1 %, à 6,7 millions de carats, tandis que les ventes ont diminué de 5 %, à 579,4 millions de dollars. Les bénéfices ont chuté de 7 %, à 131,7 millions de dollars, en raison notamment de la faiblesse de la demande mondiale.
Graphique basé sur les données du Kimberley Process pour 2004-2011, chiffres de 2012 sur la base des données déclarées pour Catoca.
Selon le rapport annuel de 2012 récemment publié pour Catoca, Sodiam estime que la valeur de marché du brut en Angola a atteint 922,9 millions de dollars, pour un total de 7,8 millions de carats au cours de l’année. Les autres mines en exploitation dans le pays se composent d’un mélange de petites cheminées de kimberlite et de mines alluviales, le long de la rivière Kwango, près de la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC). C’est là qu’a lieu la majeure partie de l’exploration artisanale informelle. Cette activité représente également le plus grand défi lié aux diamants pour l’Angola.
Le pays continue en outre de repousser les allégations de violations des droits de l’homme. Sont concernés ses efforts pour formaliser le secteur et empêcher des dizaines de migrants d’arriver de RDC pour extraire des diamants et les rapatrier chez eux en contrebande.
Au lendemain d’une visite dans le pays, Navi Pillay, la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a noté, en avril, des progrès significatifs depuis la fin du conflit en 2002. Elle a pourtant fait part de sa profonde préoccupation sur des questions relatives aux droits de l’homme, associées aussi bien à l’extraction informelle des diamants qu’à d’autres secteurs en Angola.
Lors de sa visite, Navi Pillay s’est penchée plus particulièrement sur les allégations persistantes de mauvais traitements (et notamment d’abus sexuel) commis par des membres des forces de sécurité et des contrôles des frontières.
« Je reconnais que l’entrée irrégulière de dizaines de milliers de migrants en Angola chaque année, dont beaucoup cherchent à extraire illégalement des diamants, cause de graves problèmes pour le gouvernement. Celui-ci est en droit de fixer des limites à la migration et de réguler une industrie essentielle pour lui, a écrit Navi Pillay. Il a aussi le droit d’expulser les migrants irréguliers. Il doit pourtant le faire avec humanité, dans le respect des lois et des normes internationales en matière de droits de l’homme… Lorsque je me suis rendue à un passage frontalier reculé à Lunda Norte, des rapports me sont parvenus selon lesquels l’abus sexuel des migrantes se poursuit, de la même façon que les vols de propriétés. »
Bien que prétendument perpétrées par les forces armées angolaises et des sociétés de sécurité privées, et non des groupes rebelles, le KP est incapable de répondre aux violations des droits de l’homme relevant de son mandat actuel et de la définition des diamants du conflit.
Quoiqu’il en soit, la conférence du centenaire n’a pas abordé ces questions. Les ONG ont été attaquées pour avoir exagéré les rapports d’abus. Certes, on peut faire valoir que ce n’était ni le lieu ni le moment pour un tel débat. Mais l’Angola doit au moins reconnaître l’existence de ce problème dans l’industrie.
Rob Bates, journaliste de l’industrie, a noté que le gouvernement a utilisé certaines citations positives, extraites du rapport de Navi Pillay, pour réfuter de récentes accusations de violations des droits de l’homme. C’est vrai. Mais Navi Pillay a noté des progrès significatifs, lorsqu’elle a évoqué ses préoccupations dans son rapport. Elle a noté que l’Angola s’est doté d’une nouvelle Constitution, qui renforce les droits de l’homme, et d’une Cour constitutionnelle, nouvelle mouture, visant à la faire appliquer. Navi Pillay a conclu que le gouvernement est vraiment déterminé à travailler sur ce sujet.
Il faut donc reconnaître les progrès réalisés. Il est pourtant évident que le pays a encore du chemin à parcourir. Cela doit rester dans l’esprit de tous ceux qui s’opposent à la candidature de l’Angola pour la présidence du KP en 2015. Là encore, comme certains le font remarquer, être président du KP, pour ce que ça vaut, peut amener l’Angola à mettre de l’ordre dans ses affaires, ou constitue une nouvelle étape dans ce processus.
L’Angola veut certainement faire passer un message à l’industrie : le pays entend renforcer son rôle sur la scène mondiale. La conférence a permis d’améliorer ses relations publiques, elle a montré les progrès significatifs réalisés, son potentiel et les bonnes intentions du pays. Mais l’Angola ne s’engage pas pleinement. Les observateurs et les investisseurs continuent d’avoir des questions sur son bilan en matière de droits de l’homme et sur les niveaux de transparence, après 100 ans de volatilité de l’industrie diamantaire. L’Angola a bien sûr beaucoup à célébrer, mais j’espère que le meilleur reste encore à venir.