Après 4 ans et demi, parfois agités, passés à diriger le bureau des diamants du conflit du Département d’État et à collaborer avec le Kimberley Process, Brad Brooks-Rubin se lance dans de nouvelles aventures.[:] Il s’entretient avec le JCK sur les controverses nées lors de son mandat, sur ce qu’il a appris et sur les avantages et les inconvénients du KP :
Vos réflexions sur le Kimberley Process, après toutes ces années de collaboration ?
Le problème avec le KP, c’est qu’il fait simultanément le plus et le moins. Côté « plus », le brut est la seule marchandise à bénéficier d’un programme de certification mondial, qui englobe tous les intervenants. Et disposer d’un marché qui exerce une surveillance globale, y compris sur l’exploitation minière artisanale (généralement exclue en raison de trop grandes difficultés), implique une somme de travail extraordinaire.
Mais il faut très longtemps aux intéressés pour réaliser comme le champ d’application du certificat est limité. Je ne pense pas qu’ils le comprennent vraiment. Il existe tout un système de réglementation pour gérer cette seule question. Et le problème n’a pas disparu, la République centrafricaine nous le montre. [Martin] Rapaport évoque toujours l’analogie avec la cuisine casher. Si le KP était une cuisine casher, c’est comme si le rabbin ne contrôlait que les cheeseburgers. Il laisserait passer le bacon. Il laisserait passer d’autres choses. Il n’arrêterait que les cheeseburgers. Le KP va devoir lutter avec ces limitations.
Au fur et à mesure que les choses se sont politisées, nous avons constaté qu’il était impossible de tenir une conversation honnête sur ces problèmes, vu toutes les conspirations et les hyperboles, vu Chaim [Even-Zohar] et tout le reste. Le KP a l’énorme responsabilité d’exploiter ce système remarquable, et de le porter à son plein potentiel.
La lutte pour le Zimbabwe a causé un grand désordre. Des réflexions sur ce que vous avez raté et sur les leçons à tirer pour l’avenir ?
L’une concerne le fait de pouvoir engager cette conversation honnête. Je n’ai pas envie de la réduire à une histoire bipartite. Mais si vous observez les deux courants de pensée [à propos de Marange], il me semble que nous ne nous sommes pas suffisamment efforcés de comprendre l’autre. Nous avons permis, publiquement, que l’on nous mette de côté et que l’on crée deux clans. Le KP étant une plate-forme unique, elle n’a pas besoin d’agir comme d’autres organisations internationales, dans lesquelles coexistent les camps politiques habituels. Il existe bien d’autres possibilités de s’engager et de comprendre des points de vue. Selon moi, nous ne les avons pas exploitées aussi bien que nous aurions pu.
Tous les arguments qui évoquaient les raisons des prises de position des États-Unis étaient mauvais. Nous ne cherchions pas à poursuivre un programme de sanctions ni à contrôler les ressources du pays. Mais nous n’avons pas compris que nos arguments puissent être perçus de cette façon. Et il me semble que certains de leurs arguments ont eu une influence trop grande sur notre façon de considérer le mode de gouvernement du pays. Parfois, nous avons perçu des différences qui n’existaient pas vraiment, et nous n’avons pas pensé à ce que nous pouvions faire pour changer cela. Le KP doit exploiter sa chance, c’est un environnement où peuvent s’exprimer les différents points de vue.
Nous devons également garantir la cohérence et établir des règles, pour prévoir les situations qui peuvent se présenter. L’accord de Jérusalem établissait des éléments totalement extérieurs aux précédentes missions du KP. Il me semble qu’il faut plus de règles et de directives au KP pour faire face à des questions difficiles. Dans le cas contraire, ces situations vont se multiplier : des problèmes vont apparaître et les gens tenteront de trouver des solutions faites de bric et de broc.
Des réflexions pour l’industrie ?
L’industrie a l’opportunité de s’impliquer davantage dans le KP. Le World Diamond Council est représenté par quelques personnes seulement. Cecilia Gardner fait un travail remarquable, Eli [Izhakoff], Andy Bones [de la De Beers]. L’industrie doit faire beaucoup plus.
Je ne comprends pas pourquoi les réunions du KP ne proposent pas une session sur l’état de l’industrie. Beaucoup trop de diplomates et de bureaucrates entrent au KP, sans rien savoir de l’industrie. Le WDC devrait réfléchir à créer des WDC nationaux. Certains pays disposent déjà d’associations nationales, mais leur engagement auprès du KP est variable. Trop de personnes entrent dans l’industrie comme moi, sans rien en connaître, et les réunions du KP ne vous offrent pas souvent l’occasion d’en savoir plus.
Toute l’industrie doit s’engager beaucoup plus sur la voie du développement. On comprend encore trop mal les enjeux de l’exploitation minière artisanale. Plus ces communautés en bénéficieront, plus le commerce profitera de la prise de conscience des consommateurs et d’une possible responsabilité des entreprises.
N’oublions pas le sujet de l’application de la loi. Il reste des personnes, dans l’industrie, qui paraissent très sceptiques à ce sujet et hésitent à s’engager. Tout le monde en pâtit. L’industrie n’en profitera pas s’ils ne comprennent pas les enjeux. Il n’y a eu aucun rapport d’activités suspectes déposé par l’industrie auprès du FinCEN [le Financial Crimes Enforcement Network]. Cela n’a pas de sens. Et la même chose se produit dans le monde entier.
Une dernière chose : il faut être prêt à écouter honnêtement et à participer à ce qui se passe en dehors du KP. À l’instar du groupe de travail multi parti qui a été créé, certains dans l’industrie sont trop disposés à écouter les hyperboles, les exagérations, les complots, sans même essayer de comprendre la réalité des choses. Au Zimbabwe, beaucoup ont donné libre cours à leurs pires craintes et leurs pires soupçons.
Cette industrie est unique, nous avons une situation très particulière. Mais la façon dont les gens se concentrent sur ses produits n’est pas unique… De nombreuses petites et moyennes usines de textile ont trouvé un moyen de faire face. Les associations américaines ont engagé beaucoup d’efforts tout à fait appropriés, mais le processus a besoin d’un soutien plus large, d’une meilleure compréhension et d’un plus grand engagement. Beaucoup de conversations ciblées sont engagées. Elles doivent simplement voir plus loin.
… Le KP est un outil très important. Mais il est très spécifique et ce n’est qu’une pièce du puzzle. Beaucoup le considèrent comme le guichet unique des questions du diamant. Et ce n’est pas le cas. Et ça ne doit pas l’être.
Des conseils à donner à vos successeurs au Département d’État ?
J’aurais pu faire plus, mieux apprendre et m’engager davantage auprès du secteur. Je pense que c’est essentiel. Mais il est tout aussi important de se rendre dans les endroits les plus critiques et de réfléchir aux moyens politiques de régler les problèmes les plus difficiles. Il n’y a rien de plus facile que de s’asseoir à table. Je suis allé au Zimbabwe deux fois ; je suis allé en RCA [République centrafricaine]. Mais j’aurais pu aller ailleurs encore et faire davantage pour m’engager et mieux comprendre ce qui se passe. Au lieu de se contenter d’écouter des commentaires ou des rapports d’ONG [organisations non gouvernementales], il faut faire confiance à son point de vue personnel.
Des réflexions pour la coalition des ONG ?
Je pourrais dire que la coalition, telle qu’elle se présente, a quelque peu évolué. La confiance portée aux ONG d’Afrique australe a constitué une avancée remarquable, qui fait du KP une initiative assez unique.
Pour moi, les ONG doivent approfondir leurs connaissances du marché et de l’industrie. L’un de mes premiers patrons a affirmé que le KP ne fonctionnait que lorsque les ONG et l’industrie s’alignaient et s’engageaient ensemble. Les gouvernements sont alors dirigés dans la bonne direction. Quand ils s’affrontent, tout se gèle. C’est ce que nous avons vu ces dernières années. L’industrie et les ONG doivent vraiment collaborer.
Quid de la décision de Global Witness de quitter le KP ?
En fin de compte, il me semble que tout le tapage organisé à cette occasion a été largement surfait. Au cours des six premiers mois de notre présidence, chaque article contenait une référence obligatoire à Global Witness. C’était malheureux et inopportun. Je pense que Global Witness a clairement expliqué les raisons de son départ et ses objectifs. À son actif, l’organisation a accompli plusieurs choses. Le marché des diamants ne se résume pas au KP. Il n’a pas, de par son mandat, le monopole sur tout ce qui a trait à l’industrie du diamant.
Alors, le fait que Global Witness déclare : « Nous ne sommes pas tellement intéressés par le KP » est parfaitement raisonnable. De la même façon, je pense que la coalition du KP a été renforcée par son travail avec les ONG africaines. C’était difficile à l’époque, mais chacun suit son chemin. En fin de compte, tout s’est bien terminé pour tout le monde.
Quel est votre bilan de l’année de présidence du KP par l’Amérique ?
L’Ambassadeur [Gillian] Milovanovic était, à mon humble avis, une présidente remarquable. Elle a accompli un énorme travail de qualité. Il fallait le faire à un moment donné. Le fait que cela soit intervenu après une période très troublée a eu des retombées positives. On a dit que ce serait une énorme erreur d’aborder certaines des questions comme nous l’avons fait. Quand on entend que nos efforts de réforme ont échoué, je considère que c’est une vision simpliste. Nous avons produit, par exemple, la Déclaration de Washington sur le développement. D’autres décisions ont été adoptées l’an dernier pour l’ensemble du KP. La [récente] intersession s’est très bien passée et les Sud-Africains méritent beaucoup de crédit pour cela. Nous continuons à entendre beaucoup de compliments sur notre présidence. Globalement, c’est l’une des choses dont je suis le plus fier.
Autre chose ?
Je citerais la présidence, la Déclaration de Washington sur l’exploitation minière artisanale et le développement. Nous avons fait du développement un véritable objectif du KP et non un simple slogan. J’ai aidé à mettre sur pied l’Alliance Public-Privé pour le commerce responsable des minéraux, qui compte désormais 47 membres, dont Apple, GE, Motorola et le World Gold Council.
Quel est selon vous l’avenir du KP ?
Je ne sais pas. Je pense qu’il peut accomplir de belles choses cette année. On ne peut pas prédire ce que fera la Chine [quand elle sera présidente du KP en 2014]. Les gens me paraissent assez sceptiques à ce sujet. À mon avis, pourtant, quand un pays accède à la présidence, c’est qu’il a de bonnes raisons. On ne décide pas d’être président uniquement pour organiser des réunions ou promouvoir le tourisme. Voyons où va l’Afrique du Sud, pour comprendre vers où se dirigera la Chine. C’est difficile à prévoir, mais les raisons d’être optimiste sont nombreuses.
Brad Brooks-Rubin pratique maintenant le droit au bureau de Washington, DC du cabinet d’avocats Holland & Hart, basé à Denver. Il espère continuer à travailler sur ces questions. Il est joignable sur LinkedIn.