Les débats récurrents de ces dernières années sur l’évolution du Kimberley Process (KP) tournaient généralement autour d’un nombre restreint de sujets, qui en quelque sorte sont toujours restés dans l’impasse.[:] À tort, beaucoup estiment que les discussions portent sur l’éthique. Ce n’est pourtant pas le cas, il est surtout question de coûts. À plusieurs reprises, les conversations ont été interrompues lorsque les thèmes financiers ont été abordés. Les échanges sont surchauffés et, parfois, loin d’être cordiaux, pour ne pas dire autre chose. Pour faire évoluer le KP, il convient de comprendre que son cadre, qui considère les conflits uniquement en termes de rebelles contre gouvernements établis, est obsolète. Il n’aborde pas les interrogations actuelles en matière de droits de l’homme. Il doit aussi intégrer la décision politique des États-Unis d’appliquer des sanctions économiques à l’encontre du Zimbabwe.
Notons que la volonté, principalement américaine, de modifier le KP au motif des problèmes mentionnés ci-dessus se heurte à la résistance des pays africains et des centres d’échange.
Le KP est évidemment une réussite. Le traçage du brut partout dans le monde a contribué à étouffer les guerres et à minimiser d’autres utilisations illégales des diamants. Il est également évident que le processus doit être adapté aux défis du monde d’aujourd’hui. Et c’est là que les problèmes commencent.
Les dirigeants de la plupart des pays africains producteurs ne voient pas forcément la nécessité de changer. Ces opposants ont accueilli avec plaisir le transfert de la présidence du KP à l’Afrique du Sud.
L’Inde, la Belgique et Israël ont démontré leur intérêt pour le changement. De nombreux dirigeants de l’industrie se déclarent prêts à coopérer avec une initiative… qui ne leur nuira pas. Doit-on y voir un obstacle ?
La pornographie est affaire de géographie
La semaine dernière, un important dirigeant de l’industrie américaine m’a affirmé, lors d’une conversation, que les différences entre les centres sont apparues presque immédiatement. Il a évoqué avec passion son obligation de se conformer aux règlements qui interdisent toute importation de marchandises de Marange (au Zimbabwe). Il craignait de voir entrer dans son pays du taillé serti sur des bijoux, qui passerait inaperçu, les systèmes de surveillance actuels ne ciblant que le brut.
De son point de vue (américain), le KP est limité. Quand j’ai abordé la façon dont il est considéré par les centres d’échange ou de fabrication, il y a eu un bref moment de silence. Le KP est très présent dans la vie d’un fabricant qui achète, importe et exporte du brut, beaucoup moins dans celle d’un joaillier de l’Ohio, qui ne voit jamais de brut.
Le fabricant installé en Inde ne comprend pas pourquoi le KP peut être jugé inefficace. Le détaillant américain ne comprend pas pourquoi certains refusent de lutter contre une participation à d’éventuelles violations des droits de l’homme. Quant au fonctionnaire africain, il n’aime pas que l’Occident proclame que ses marchandises pourraient être impropres (il se sent, une fois de plus, sous la pression d’un colonialisme économique bien connu, aux accents fort désagréables !)
Une situation qui paraît tout à fait adéquate quelque part peut être vécue à l’opposé dans un autre endroit. Le comportement légitime de l’un n’est rien moins qu’une exploitation vile et immorale pour un autre. Le porno est une question de géographie.
Qui paiera la note ?
Il existe une autre différence entre les fabricants et les détaillants : leurs marges. Les marges brutes des fabricants sont généralement comprises entre 3 % et 4 %, celles des détaillants affichent deux chiffres, certaines peuvent tomber à 15 %. Toutefois, les joailliers spécialisés indépendants obtiennent en moyenne autour de 49 %. Dans des majors, comme Sterling et Zale, la marge brute est supérieure à 50 %.
Les diverses propositions d’actualisation du KP nécessitent d’appliquer un mécanisme de suivi du brut transformé en taillé, voire plus loin en aval. Certains font remarquer que la De Beers parvient à le faire, pourquoi les autres acteurs n’y réussiraient-ils pas ?
Tout d’abord, la De Beers n’est pas un fabricant, elle contrôle le brut de ses propres mines et procède à une opération totalement inverse : au lieu de suivre chaque pierre individuellement, elle mélange les marchandises de toutes ses mines. Une fois que le tri par grosseur, couleur et modèle a été effectué, personne ne peut plus choisir un diamant d’une boîte de la DTC et établir son origine avec certitude.
De plus, les négociants de taillé passent leurs journées à assembler et trier des marchandises. La mise en place d’un système qui permettrait de suivre chaque pierre de 0,1 carat (un diamant qui pèse 0,000705479239 onces), sans parler de la quantité infinie des diamants de 0,01 carat, aurait un coût important, voire prohibitif. La résistance des négociants trouve son origine à ce stade.
Les fabricants de tous les secteurs sont toujours les premiers à subir les pressions. Pour qu’ils coopèrent, nul besoin de les bombarder de morale et d’éthique. L’attitude est plus que condescendante. Il faut les convaincre que le système de suivi ne les mènera pas à la faillite.
Cela soulève une question. Si tout le monde est d’accord sur l’aspect éthique et que la question se résume au financement, qui doit payer la note ? Le fabricant qui touche déjà des marges ultra-réduites ou le détaillant, qui veut ce changement, et dispose d’une marge de 50 % ?
Le dirigeant américain, qui connaît parfaitement la situation des détaillants dans son pays, admet qu’ils ne seraient pas prêts à payer davantage leurs diamants, y compris pour les sociétés cotées en bourse. Ils ne sont pas disposés à payer pour un système qu’eux-mêmes réclament, une attitude tout simplement erronée. Pour générer et protéger leur activité, ils vont devoir payer, tout comme pour leur publicité ou tout ce qui entre dans la rubrique « charges d’exploitation ».
L’échec n’est pas affaire de géographie
Si les consommateurs délaissent les diamants de crainte qu’ils ne répondent pas à des normes éthiques, les pertes ne concerneront pas uniquement les détaillants et les fabricants. Elle touchera tous les acteurs.
Pour améliorer notre capacité à vendre des diamants, en permettant qu’une marchandise empreinte de beauté aide également les opprimés en Afrique, l’opération doit avoir une portée économique. On ne peut admettre qu’une corporation impose son système à une autre, puis refuse de prendre ses responsabilités.
Si ce débat doit nous apprendre quelque chose, c’est qu’il est nécessaire de communiquer, tant en interne qu’en externe. Et s’il faut pour cela que certains fassent des compromis, qu’il en soit ainsi. L’objectif en vaut la peine. Veillons simplement à ce que le chemin qui y mène ne soit pas pavé d’actes honteux.