Notre secteur, comme tout autre, est soumis à des cycles. Nous avons d’ailleurs pu le constater tout récemment, entre 2008 et aujourd’hui. Le développement intensif de l’économie mondiale, et de la Russie en particulier, a provoqué une explosion du commerce du brut et du taillé au milieu des années 2000.[:]
Avec l’année 2008, est arrivée l’apogée de cette folle hausse des prix. Au cours de la période qui a suivi, avec son ralentissement et sa récession retentissants, ALROSA a subi un choc économique majeur. Cela aurait dû être l’occasion de repenser la situation de l’industrie. Malheureusement, ça n’a pas été le cas et les années 2010-2011 ont été aussi spectaculaires avec l’augmentation rapide des prix du brut. L’année 2012, qui a jeté les bases pour une nouvelle descente aux enfers, n’a pas plus permis de faire naître la réflexion. Aujourd’hui, au tout début de l’année 2013, tout porte à croire que nous nous trouvons de nouveau sur une courbe macroéconomique ascendante. Personne ne peut fermer les yeux sur les problèmes qui lèsent les entrepreneurs russes. Si c’était le cas, une nouvelle crise économique finirait par mettre à mal les bases les plus ténues de l’industrie, que l’on observe en Russie aujourd’hui.
Pendant toute une période, ALROSA, en tant que société minière, a eu le droit et la capacité de vendre des diamants sur le marché libre. Il était alors très difficile de modeler un marché national pour le traitement du brut et la fabrication du taillé. Certains ont eu de la chance, réussissant à s’assurer une activité plus ou moins fructueuse ; d’autres ont connu un sort moins clément. Cependant, malgré le succès d’ALROSA sur le marché du brut, l’industrie nationale de la fabrication n’est pas parvenue à contribuer au budget de l’État. La totalité des bénéfices de cette activité très spécifique est générée par les exportations de brut. Les vrais acheteurs, les plus importants, sont des sociétés de négoce et d’achat en Israël, en Belgique et en Inde. Soyons honnêtes ! Les usines de taille russes ont été créées par des ressortissants et des sociétés de l’étranger, ou travaillent pour des investisseurs étrangers. Très peu d’entre elles tentent de créer une structure propre, indépendante des envies subjectives des spéculateurs, uniquement destinée à satisfaire les préférences du marché libre et des consommateurs de bijoux. Entendez par là les personnes ordinaires qui s’offrent des bijoux dans les magasins.
Mon avis, partagé, je pense, par une grande majorité des professionnels, est le suivant : les principaux motifs de l’échec sont enracinés dans la législation nationale (impôts, douanes et droit pénal). La terrible bureaucratie rampante des douanes russes est au cœur de toutes les conversations : le dédouanement des marchandises dans ce pays nécessite deux semaines minimum, alors qu’en Belgique, la même procédure demande un ou deux jours. Pour ne citer qu’un exemple, il m’a fallu environ une heure pour passer les douanes pour importer du brut des Emirats arabes unis à Dubaï. Pendant ce temps, un employé des douanes arabes m’a offert du thé et des chocolats. Ça, c’est du service ! Et je dis cela sans ironie aucune. Pourra-t-on jamais voir cela en Russie ? La question semble purement rhétorique. La TVA due sur la valeur du brut a également suscité un débat animé au sein de la communauté d’experts. Appliquer cette taxe là où il n’y a en fait aucune valeur ajoutée (puisqu’il s’agit d’une matière première non encore traitée) paraît tout à fait absurde. Elle est pourtant perçue sur les ventes de brut, agaçant les diamantaires russes, dont elle gâche le temps et l’argent. Bien souvent, la TVA est remboursée par l’État après l’exportation du brut ou du taillé. Autrement dit, l’industrie de la fabrication avance de l’argent à l’État pendant six ou douze mois, pour finir par le récupérer à condition, bien sûr, de respecter la législation fiscale. Les procédures de remboursement raccourcies sont ramenées à un ou deux mois. Reste à savoir combien l’État retire de ce genre de coopération économique (autre question rhétorique). Après tout, cette taxe ne permet pas de payer les salaires des enseignants et des médecins, ni même les retraites ou les pensions des anciens combattants. Dès lors, la vente de diamants à l’étranger sans TVA ressemblerait un peu à un rendu pour les investisseurs étrangers. Encore une fois, je parle sans la moindre trace d’ironie !
La solution la plus efficace pour aider à améliorer le climat d’investissement dans l’industrie et donc stimuler la croissance économique, sera une mesure radicale : supprimer la TVA sur les ventes de brut sur le marché national. Cela permettrait aux entreprises russes d’acheter plus de brut pour leur propre usage, à la fois pour la fabrication et la vente ultérieure. Ce dernier point est très important. Nous devons changer d’attitude envers les diamants, qui sont aujourd’hui considérés sacrés. Or, ce n’est qu’une marchandise. Bien sûr, elle est précieuse, mais elle s’achète et se vend. La Russie doit impérativement créer un libre-échange pour le brut, elle aura ainsi l’occasion de développer l’industrie nationale de la taille. En effet, le nombre de sociétés du secteur n’a pas augmenté ces dernières années. La croissance n’a été enregistrée qu’au sein des indicateurs économiques qui dépendent de la hausse des prix du brut et des produits finis vendus sur les marchés internationaux. Pourtant, le nombre de fabricants nationaux est resté le même et n’a guère évolué depuis le début des années 90. Il n’existe pas de système national de crédit qui financerait l’industrie, nous nous reposons principalement sur des investissements personnels ou étrangers. De surcroît, il n’existe aucune institution de formation du personnel dans les domaines de la taille, du commerce et de l’évaluation. La seule solution consiste donc à libéraliser le commerce du brut et du taillé. Le marché trouvera seul la bonne solution. Le pays pourrait enfin disposer de son propre marché du diamant, sur lequel vous pouvez acheter ou vendre n’importe quelle quantité de brut ou de taillé.
Prenez, par exemple, Israël ou la Belgique. Le nombre d’usines de taille y est relativement restreint et celui des sociétés exerçant des fonctions strictement commerciales est important. Le marché russe du brut et du taillé doit être similaire en structure et en fonction. Si l’extraction de diamants reste l’apanage des grandes sociétés d’État, ce commerce doit être régulé par le marché libre. En outre, les licences d’exportation de brut doivent être annulées. D’une façon ou d’une autre, les diamants sont exportés de Russie. Il est donc nécessaire de simplifier le régime douanier pour accroître les échanges et donc les contributions douanières au budget.
L’avenir appartient aux pays qui affrontent efficacement les nouveaux défis et les menaces et qui n’ont pas peur de s’adapter à un environnement en évolution rapide. Le succès de notre industrie dépend de la rapidité et de l’efficacité du gouvernement russe à répondre à l’évolution des conditions économiques. Une politique équilibrée et avisée aurait pour principal but de soutenir les petites et moyennes entreprises dans l’industrie. Après tout, il est impossible de libérer le marché en privatisant une seule entreprise, ALROSA.
Yegor Yegorov (OOO Infinity Diamonds)