La speculation boomerang

Rough and Polished

En ma qualité de président de l’International Diamond Manufacturers Association, je tiens à exprimer la douleur de tous les fabricants de diamants du monde entier et à faire entendre leur voix, déclare Moti Ganz, le président de l’Israel Diamond Institute et président honoraire de l’IDMA, dans son article publié par le portail de l’Israel Diamond Institute sur www.israelidiamond.co.il.

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Ce texte est extrait d’une série d’articles et de discours dans lesquels, écrit Moti Ganz, j’ai tenté de persuader les producteurs de brut que les bénéfices d’aujourd’hui sont les pertes de demain. La spéculation est morte, leur crié-je aux oreilles. Bientôt, plus aucun fabricant ne possèdera des usines ou des obligations envers ses employés et des engagements envers ses fournisseurs de brut. Que ferez-vous du brut dans ces conditions ?

Jusqu’à présent, tous mes appels ont été vains. Tout le monde savait exactement ce dont je parlais, mais il était plus confortable de se mettre les mains sur les yeux, les oreilles et la bouche : ne rien savoir, ne rien voir, ne rien entendre… d’autant plus que la caisse enregistreuse tournait plein pot. Pour que personne n’abandonne avant que j’arrive à l’essentiel, je commencerai par le cœur de mon propos.

L’ère de la spéculation est achevée. Personne ne peut plus compter sur des acteurs qui n’ont aucun intérêt dans la fabrication pour acheter du brut. Les producteurs doivent se réveiller avant que tous les fabricants capables d’acheter leurs marchandises aient disparu. Les fabricants ne sont pas sur le point de disparaître ; ils sont déjà au beau milieu d’un marasme. Ils glissent sur une pente brutale et douloureuse, qui les entraîne vers un abîme inévitable. Des diamants sans fabricants sont des diamants sans marché. Et des diamants sans marché pourront tout juste faire jouer des enfants, peut-être comme la pierre qu’Erasmus Jacobs a découverte en 1866 sur les rives du fleuve Orange en Afrique du Sud. Si les diamants sortent de l’esprit des consommateurs, ils n’y reviendront pas. Les perles et les pierres précieuses ne resteront pas à attendre bien sagement. Elles sont belles, attrayantes et rentables. Sans que l’on s’y attende, elles vont envahir les vitrines. Et si les consommateurs veulent malgré tout des diamants, ils réaliseront rapidement (et ils ont déjà commencé à le comprendre) que les diamants synthétiques sont aussi beaux que les pierres naturelles, et peut-être même plus. Leurs prix sont abordables, il est facile de les coordonner et nous, les fabricants, pourrons enfin gagner un peu d’argent ! Qu’arrivera-t-il alors au brut ? Restera-t-il enfoui dans les profondeurs de la terre ? Qui en voudra ? Maintenant que j’ai crié haut et fort le message de l’industrie mondiale du diamant, je vais prendre une profonde inspiration et revenir à une explication ordonnée.

Il fut un temps…

Il fut un temps où un fournisseur unique ou presque dominait le monde des diamants et déterminait les quantités livrées, les prix et le sort de tous les acteurs sur le marché. Ce fournisseur de brut (tout le monde aura reconnu la De Beers) vérifiait consciencieusement la destination du brut qu’il vendait. Ses représentants se rendaient régulièrement chez les clients et contrôlaient le bon usage qui en était fait. Le monde des diamants était ordonné, clair et gouverné d’une main de maître.

Même si le passé apparaît toujours idéal, nous nous souvenons bien, et parfois avec douleur, qu’avec les avantages majeurs d’un conglomérat tout-puissant, venaient également quelques inconvénients de taille. Nous en avons profité, mais nous nous sommes aussi beaucoup plaints. Entre autres inconvénients, souvenons-nous des écarts constants entre le marché monopolistique du brut et le marché libre du taillé, des bénéfices empochés séance tenante lors de l’invention d’une technologie sophistiquée qui a amélioré les capacités de production, de l’exigence absolue d’accepter le brut, quels que soient la quantité et le prix, même quand les temps étaient très durs, et de la nécessité de constamment trouver de nouvelles idées créatives, parfois sous forme de « programmes », pour satisfaire les exigences du fournisseur.

Avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène du brut, d’abord en Australie avec le marketing direct des marchandises d’Argyle, puis au Canada et plus tard en Russie, avec son approvisionnement sans intermédiaire, et au vu des mauvaises performances de ses actions, la De Beers a dû renoncer à ses habitudes éculées pour s’adapter à une nouvelle dynamique. Aujourd’hui, malgré sa réputation de producteur dominant et influent, on ne peut plus lui attribuer la responsabilité de tous les malheurs du marché… ni de tous ses succès.

Je ne mentionne cette histoire que pour faire passer un message, que je vais bientôt expliciter.

L’émergence de la spéculation

Les changements profonds ont eu lieu dans l’industrie à l’approche de l’an 2000. Nous avons suivi les évolutions, augmenté notre efficacité, actualisé nos procédures, réduit nos capacités, nous nous sommes élargis, puis nous avons créé des liens en aval et en amont de la filière, développé des marques, mis sur pied des sociétés de bijoux, rejoint des partenariats, nous nous sommes séparés et avons fusionné, adapté nos sociétés aux meilleures pratiques du secteur, bâti des usines de fabrication dans des pays du monde aux coûts salariaux moindres, et à l’autre bout du monde, dans ceux qui promettait un approvisionnement en brut. Nous avons travaillé dur, sué, réfléchi, créé… tout cela pour nous adapter à la nouvelle donne de l’industrie et la soutenir autant que possible.

Nous avons fait un excellent travail. Il me semble que, malgré quelques anicroches et quelques difficultés, nous avions confiance dans notre industrie. Nous savions que nous allions de l’avant.

En 2007-2008, la bulle financière s’est mise à gonfler partout dans le monde. Notre industrie n’a pas été épargnée, elle a gonflé elle aussi, tant au plan financier que des stocks. Les prix se sont affolés, les spéculations liées aux politiques monétaires en Afrique du Sud et en Inde ont déconnecté les prix du brut et ceux du taillé. Certains sightholders ont fait appel au crédit non pas pour fabriquer mais plutôt pour investir dans l’immobilier ou la bourse. En 2008, bien avant la crise mondiale du crédit, je me suis déjà exprimé sur Hayahalom et auprès d’instances internationales contre les hausses irresponsables des prix du brut, entraînées par la spéculation. J’ai prévenu qu’une euphorie déraisonnable de l’industrie conduirait à une demande déraisonnable de brut, à des prix déraisonnables. Lors du Congrès mondial du diamant de 2010 à Moscou, j’ai insisté sur le risque très grave de hausses effrénées des prix du brut et du danger afférent.

Toutefois, tant qu’il y avait de l’argent, la roue continuait à tourner et tout le monde appréciait l’ambiance. Seuls quelques-uns, dont moi-même, ont crié : Méfiez-vous ! À ce jeu de chaises musicales, l’un des intervenants se retrouvera floué. Et peut-être même plusieurs. Voire tout le monde.

Un arrêt brusque

Fin 2008, le monde a pris de plein fouet la crise économique mondiale, dont les racines remontaient à 2000, avec l’éclatement de la bulle hi-tech. Les investissements se sont détournés vers le marché immobilier, lequel, à son tour, a produit une nouvelle bulle dans laquelle l’argent a été employé de façon irresponsable dans des prêts non financés, donnant lieu à des achats effrénés d’appartements et de maisons.

Lorsque la crise a éclaté, tout s’est figé : les marchés financiers aussi bien que l’industrie du diamant. Les producteurs de brut ont compris qu’ils étaient les seuls à pouvoir réguler le marché et ils ont réagi rapidement : ils ont réduit la production ou fermé des mines pendant une certaine période, puis ils ont permis à leurs clients de refuser des marchandises. Les Russes ont ouvert leur parachute : le Gochran (le Trésor public) a racheté la production d’ALROSA.

La crise économique mondiale a mis au jour certaines des faiblesses fondamentales du secteur, en particulier le cumul des stocks et des prix erronés. Sa soudaineté a souligné la vulnérabilité de l’industrie aux fluctuations économiques externes.

La plupart des banques de la plupart des centres ont agi avec une très grande responsabilité, soutenues par les diamantaires qui ont rationalisé leurs activités et injecté des fonds. Or, d’autres établissements financiers ont choisi de soutenir les centres diamantaires en proposant des lignes de crédit excessivement généreuses ; de nouveau, la spéculation a prospéré, les prix du brut ont flambé et nous nous sommes retrouvés dans un tourbillon.

J’ai plusieurs fois demandé aux diamantaires de ne pas acheter de brut à n’importe quel prix. Mais le brut a continué à se vendre, les prix ont continué d’augmenter et la spéculation a éclaté. Les producteurs de brut (tous les producteurs) ont profité de l’activité ininterrompue de leurs caisses enregistreuses. Pour optimiser encore leurs bénéfices, les producteurs de brut ont adopté la méthode des enchères. La différence entre les prix du brut et ceux du taillé a été ramenée à près de zéro, à l’instar des bénéfices des fabricants.

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Ces derniers, qui achètent du brut pour le traiter, sont en train de disparaître : ils réduisent la fabrication, ferment temporairement des usines ou les arrêtent totalement. Les fabricants même les mieux établis doivent fermer d’excellentes installations, bien organisées. Certains ne tiennent plus qu’à un fil. Mais combien de temps un fabricant peut-il continuer à acheter du brut à perte ? Un mois ? Deux mois ? Un trimestre ? Un semestre ? La situation est inquiétante.

Je suis désolé de devoir me citer moi-même, mais j’ai bien exprimé ces idées précédemment et il n’est pas vraiment nécessaire de les reformuler. J’aimerais pouvoir dire que ces mots ne sont plus d’actualité ; malheureusement, ce n’est pas le cas. En 2010 (Hayahalom 193), j’ai écrit : « Dans le monde de l’exploitation minière, les rapports annuels et les discours reprennent le terme « développement durable ». Il désigne les activités qui ont une viabilité commerciale à long terme. D’une certaine manière, trop de producteurs semblent croire que l’optimisation des revenus à court terme est plus importante que le développement durable à long terme des activités de leurs clients. Or, le nombre de contrats d’approvisionnement à long terme des fabricants diminue et ces fabricants doivent réaliser jour après jour, qu’à chaque fois que nous achetons du brut à des prix élevés, sans vergogne, nous dégradons nos propres perspectives à long terme. Au final, ceux qui paient le surplus vont disparaître ; le fournisseur de brut se tournera vers un tiers qui attendra de subir le même sort. Il est facile de réfuter ces allégations en affirmant : « C’est un marché libre. » Mais ce n’est pas totalement vrai. Nous n’avons pas les mêmes cartes en main. Les spéculateurs du brut peuvent perdre ou gagner un peu d’argent. Les fabricants, eux, ont investi énormément dans les usines et les infrastructures et doivent protéger leur main-d’œuvre. »

Récemment, les producteurs de brut ont réalisé que s’ils ne baissaient pas leurs prix, plus personne n’achèterait leurs marchandises. La baisse des prix est une arme à double tranchant : elle est essentielle car les fabricants ne peuvent plus payer les prix demandés, mais c’est un coup dur pour ceux qui ont acheté des marchandises chères ; elle profitera à tous ceux qui ont eu la sagesse de refuser des marchandises.

Ce n’est pas la crise

Notre industrie stagne, non seulement en Israël, mais partout dans le monde. Nous avons tendance à blâmer la crise économique. Certes, les États-Unis sont en récession, l’économie européenne s’effondre, disons-nous. Mais, même en période de récession, les jeunes gens continuent de se marier et les chrétiens à accrocher leurs bas au sapin. Il reste des occasions à célébrer. En outre, la situation économique aux États-Unis n’est pas si mauvaise. En tout cas, elle n’est pas suffisamment grave pour entraîner un arrêt total… tout au plus, un léger recul. Le motif réside dans l’industrie elle-même. Dès qu’il n’a plus été possible de recourir au crédit bancaire pour spéculer et qu’un marché est né des prix élevés du brut qui ne pouvaient pas être transformé en liquidités, les acheteurs ont commencé à « étouffer » et ils ont demandé du brut inférieur de 10 % à 15 % par rapport au prix demandé par les principaux fournisseurs. Les fabricants liés par des contrats à long terme ont dû continuer à acheter du brut à prix d’or et compléter leurs achats en payant des prix impossibles dans des enchères.

Je tiens à vous rappeler ce que j’ai déclaré à propos des enchères à la Conférence internationale sur le brut qui s’est tenue en Israël en 2008. M’adressant aux producteurs de brut, j’ai déclaré : « Vous vous demandez sûrement pourquoi vous devriez vous préoccuper des problèmes des fabricants. Pour nous, me direz-vous, la situation est idéale. Nous produisons du brut, le vendons aux enchères, fixons des prix dont nous n’avions jamais rêvé et nos profits ne donnent lieu à aucune plainte.

Les enchères peuvent constituer une excellente « fenêtre » ouverte sur le marché ou une solution pour vendre des diamants particuliers. Elles ne représentent pourtant pas une panacée car elles nuisent au fabricant.

… Le brut n’a pas de valeur en soi. Son producteur ne peut rien en faire. Certaines initiatives ont eu pour but de transformer les diamants en matière première, pour qu’ils se comportent comme l’or, le cuivre, le fer ou le café. Elles ont échoué, le brut n’a pas de valeur financière comme les métaux. Il ne sera pas utilisé comme les grains de café, il ne vaut de l’argent que s’il est taillé. Le brut n’a de valeur que pour… le fabricant. Moi seul, fabricant, sais ce que j’ai en main et ce que je peux en faire.

Et pour que j’aie envie du brut que vous produisez, il m’en faut un approvisionnement régulier, issus de tris constants et programmés. Ce n’est qu’ainsi que je pourrai m’engager auprès des chaînes et des magasins, ou participer à des « programmes ». Il n’y a qu’ainsi que je pourrai vous promettre que le brut que vous produisez aura une valeur pour le client en magasin, et pas seulement dans nos échanges fermés. »

Au terme de mon discours, j’ai entendu des applaudissements. C’était très agréable mais, dans la pratique, rien n’a changé. J’ai claironné mon message et les bénéfices des producteurs de brut ont continué d’augmenter, aux dépens des fabricants.

Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à acheter du brut à perte. Il est impossible de poursuivre la fabrication dans de telles conditions. Or, sans cette étape, il n’y a rien à vendre et s’il n’y a rien à vendre, les vitrines se rempliront bientôt de bijoux sertis de pierres précieuses, de perles et de diamants synthétiques… peut-être même est-ce déjà trop tard. Si les consommateurs s’habituent à ces produits, qui pourra faire marche arrière ? La porte fermée d’une usine n’a aucune chance de se rouvrir. Les propriétaires de boutiques sont fatigués de nous entendre pleurnicher et demander des prix plus élevés ; les fabricants de diamants synthétiques leur apportent des marchandises sur un plateau et leur assurent une marge bénéficiaire bien supérieure. Au début, ils relègueront les produits synthétiques dans un coin du magasin puis, au bout de quelques années, ils en disposeront dans toutes les vitrines. Souvenez-vous de l’évolution qu’ont connue les perles.

Le train est déjà en marche. De nombreux fabricants se sont mis au synthétique, d’autres envisagent d’adapter leurs lignes de production. Le système de fabrication existe, le système de commercialisation existe. Pourquoi les exploiter à perte, alors qu’ils pourraient être rentables ? Puisque l’infrastructure existe, les producteurs de brut auraient tout intérêt à rattraper rapidement les fabricants par le bout de la veste et à leur assurer un approvisionnement rentable, faute de quoi ils pourraient le regretter mais en aucun cas remédier à la situation. Très récemment, un fabricant américain bien établi m’a expliqué que, s’il n’avait pas ouvert une ligne de synthétique parallèlement à son système traditionnel, il aurait mis la clé sous la porte. Il envisage d’ailleurs d’adapter l’ensemble de son système de fabrication et de commercialisation aux produits synthétiques. Producteurs de brut, est-ce le chemin que vous voyez pour nous ?

Dernier appel

En conclusion, et bien que, jusque très récemment, je me sois adressé principalement aux fabricants, pour leur demander de ne pas acheter de brut à des prix déraisonnables, je vais maintenant me tourner vers les producteurs. Chers producteurs, le brut est destiné à être taillé pour être serti sur des bijoux. Il ne peut pas être mangé, il ne peut pas être planté, il ne peut même plus être utilisé à des fins spéculatives. Vous pourrez bien spéculer pendant un an ou deux mais quand, au bout du compte, le cratère de ce volcan infernal s’ouvrira, tout sera détruit autour de lui. Les producteurs doivent comprendre qu’un secteur dans lequel la spéculation joue un rôle majeur n’est pas un secteur. Ce n’est rien moins qu’une bulle qui a éclaté et qui, si elle ressuscite, éclatera à nouveau. Les producteurs et fabricants de brut sont dans le même bateau : tout le monde veut une activité soutenue. Les producteurs veulent s’assurer que l’on achètera le brut qu’ils produisent, tout en ayant une obligation envers les pays où se trouvent les mines. Ils ont des devoirs envers les gouvernements et les populations. Ils ont des objectifs à respecter. Si personne n’achète le brut, ils devront dire adieu à l’exploitation minière.

Les producteurs doivent donc trouver un moyen de soutenir et d’encourager les fabricants. Et là, je répète les leçons des années 70 et 80. Les producteurs de brut doivent apporter un soutien très fort aux fabricants, pour leur permettre de reprendre le travail et de s’établir fermement sur le marché, en s’assurant des clients fidèles qui peuvent compter sur un approvisionnement régulier et sûr. Les producteurs doivent aussi protéger les négociants, afin qu’ils puissent convenablement aider les fabricants de petits et moyens volumes et leurs employés, soit grâce à un financement, soit en proposant des lots plus petits dans des assortiments attractifs.

Je donnerais donc aux producteurs de brut le conseil suivant : le retour de la spéculation ne sonne pas la fin des seuls fabricants, elle va frapper toute l’industrie du diamant.

Source Rough & Polished

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