La saison des salons de joaillerie de Las Vegas a redonné confiance au marché diamantaire, malgré un recul de la fréquentation. Au-delà des perspectives commerciales pour les acheteurs et les fournisseurs, les salons de la semaine du 5 juin ont donné un instantané du marché des diamants et des bijoux. [:]
En m’entretenant avec des dirigeants de l’industrie et des membres du secteur et en assistant aux nombreux séminaires de choix proposés lors du salon, j’ai trouvé que le marché se trouvait en meilleure posture qu’il y a un an, et ce malgré les difficultés persistantes.
Après une semaine passée aux salons Luxury et Couture du JCK Las Vegas, voici quelques facteurs sous-jacents qui influencent actuellement le marché :
1. Des échanges stables mais sans besoin urgent d’acheter
Le marché tourne et on ressent une certaine confiance dans la demande américaine. Les joailliers s’adaptent sensiblement à l’évolution des tendances de consommation, davantage qu’il y a un an.
Les joailliers avisés développent des structures « omni-canal » associées aux stratégies de réseaux sociaux déjà en place. Ils proposent des services et produits personnalisés et sur-mesure pour asseoir leur position sur le marché. Ceux qui ne vont pas dans ce sens restent sur le bord de la route.
Or, l’environnement du retail reste volatil et changeant. Une baisse des ventes de Signet Jewelers et Tiffany & Co soulève des craintes par rapport aux grands noms. Quant au segment des boutiques indépendantes et familiales, il ne cesse de se rétrécir, contribuant aux préoccupations du marché.
« Le marché est bon mais pas extrêmement solide, a déclaré Stanley Zale, vice-président pour les pierres précieuses et diamants chez Stuller, un grand distributeur et grossiste de bijoux. Le vieux modèle ne fonctionne plus. Les joailliers ont abandonné les stocks volumineux pour passer à des opérations plus efficaces. »
Il est clair qu’ils ne cherchaient pas à se constituer des stocks lors du salon. Plusieurs diamantaires ont noté que les acheteurs recherchaient des marchandises mais ne dépensaient pas tout leur budget. Ils demandaient une gamme plus limitée de diamants, en quête notamment de diamants H à J, de pureté SI et de qualité supérieure, qui n’étaient pas toujours facilement disponibles.
Les acheteurs se sont également tournés vers des prix plus bas, prêts à transiger sur la grosseur au sein de cette catégorie des H à J, en SI. Cela révèle les budgets plus serrés des consommateurs dans le contexte économique actuel des États-Unis, a expliqué Charles Rosario, vice-président de Lazare Kaplan, un fournisseur basé à New York.
« Les détaillants s’adaptent aux consommateurs aux revenus moyens qui cherchent toujours leur place et achèteront à des tarifs inférieurs, a expliqué Charles Rosario. On ne parle plus du montant des marges, on parle de survie. »
Edahn Golan, chercheur chez NDP Group, qui propose des analyses de données du secteur du retail, a estimé que le prix de vente moyen des diamants avait baissé de 1 % en 2016.
2. Des fournisseurs coincés avec leurs stocks
Les détaillants tentent de protéger leurs marges bénéficiaires en transférant cette baisse de prix aux grossistes et aux diamantaires, anxieux de produire des flux de trésorerie. Edahn Golan a ajouté que les prix de gros moyens avaient reculé de 2 % l’année dernière.
Les fournisseurs de diamants se sentent particulièrement sous pression lorsqu’ils travaillent avec les grands détaillants. Ils se disent réticents à signer leurs « conditions générales obligatoires », comme l’a expérimenté un fabricant.
« La gloire que l’on obtient en vendant de gros volumes à une seule personne paraît plus facile car on gagne en cohérence, a expliqué Charles Rosario. Mais ils vous mettent à genoux, alors pourquoi vendre si vous ne gagnez pas d’argent ? »
Les marges bénéficiaires des fabricants s’amenuisent, sous les pressions des acheteurs de retail, alors même qu’ils doivent payer du brut « dont le prix augmente un peu plus chaque mois », a ajouté un fabricant basé en Israël.
En outre, comme les grossistes et détaillants de bijoux se montrent difficiles, négociants et fabricants se retrouvent à devoir supporter le gros du stock de l’industrie. Un autre exposant installé en Israël a affirmé qu’il avait bâti son modèle d’activité autour du choix qu’il proposait, notamment parce que les détaillants veulent généralement prendre les marchandises en consignation.
« Cela me va parfaitement car je n’ai pas besoin de m’inquiéter des liquidités des détaillants. Ils prennent le diamant en consignation et le règlent lorsqu’ils le vendent », a-t-il indiqué, en demandant à rester anonyme.
Toutefois, la plupart des petites et moyennes entreprises diamantaires ne peuvent pas se permettre de financer la pierre pendant sa consignation et les diamantaires évitent généralement de se retrouver coincés avec trop de stocks. Des remises ont été pratiquées lors du salon pour tenter de se défaire des excès de stocks anciens. Les joailliers américains n’achètent toutefois pas pour le stock, et ce même à prix réduits, a souligné un autre fournisseur de New York.
Beaucoup ont affirmé que les stocks étaient pour l’instant équilibrés, suggérant même des pénuries de marchandises prisées en pureté SI. Mais ils craignent que la nouvelle offre de taillé n’arrive sur le marché car la fabrication s’est intensifiée ces derniers mois, augmentant les niveaux de stocks dans la filière intermédiaire pendant la période d’été, plutôt calme.
3. Le changement est la seule constante
Certains fabricants s’attendent à ce que la gamme demandée s’élargisse plus tard dans l’année lorsque les joailliers commenceront à penser à Noël. Ils ont également remarqué qu’en juin, il était encore trop tôt pour que les joailliers achètent pour les fêtes car le marché change très rapidement.
Cette évolution est provoquée par des habitudes d’achat changeantes (façon d’acheter, produits achetés et raisons et lieux des achats) et par le fait que la génération Y considère les diamants différemment des générations précédentes. Cela oblige les détaillants à repenser leurs interactions avec les clients et contraint les spécialistes du marketing à réinventer leur façon de raconter l’histoire du diamant.
Pour profiter de la véritable opportunité, il faut savoir associer le savoir-faire gemmologique des baby-boomers aux aptitudes technologiques de la génération Y.
Les membres de la génération Y sont peut-être différents mais, comme ceux de la génération X et comme les baby-boomers, ils veulent avoir confiance dans leur joaillier. Et une grande part de cette confiance se démontre et se gagne sur Internet, sur le site Internet du joaillier – et peut-être surtout grâce à sa présence sur les réseaux sociaux. Les acheteurs font de plus en plus de « lèche-vitrines » en ligne avant d’acheter. Ils sont donc plus informés et plus à même de faire pression sur les détaillants pour faire baisser les prix.
Pour conclure une vente, les joailliers doivent donc prouver la valeur ajoutée qui les distingue de tous les autres.
4. Ajouter de la valeur grâce à la personnalisation
Les joailliers doivent se différentier car les membres de la génération Y veulent que leurs bijoux reflètent leurs singularités. Cela oblige les détaillants à proposer davantage d’options à leurs clients, notamment grâce à des outils de création de bijoux personnalisés sur leurs sites Internet.
Le salon a mis en évidence les innovations des grossistes de bijoux en lien avec cette recherche de personnalisation. Les fournisseurs ont proposé différentes options pour leurs créations, faisant varier le type et le poids du métal ou la grosseur de la pièce, et en les présentant dans différents sertissages.
Les prestataires de services ont également admis qu’ils pouvaient aider les joailliers à enrichir l’expérience proposée, principalement grâce aux technologies.
Ces opportunités offrent aux détaillants des moyens d’améliorer leurs propres marques, leurs efforts étant trop souvent occultés par ceux de leurs fournisseurs de gros, a indiqué Russel Fyfe, directeur opérationnel de RingCam. Cette société procure aux détaillants un outil permettant d’insérer une caméra dans un écrin de bague afin de filmer l’ouverture du cadeau.
Les détaillants constatent de meilleures opportunités en termes de stratégie de marque lorsqu’ils essaient de courtiser les clients avec leur histoire et l’expérience unique d’achat qu’ils offrent.
5. Pas de business dans le show-business ?
Les organisateurs des salons commerciaux ont eux aussi l’obligation de montrer qu’ils apportent de la valeur ajoutée. De nombreux diamantaires doutent maintenant de l’intérêt de participer à un « salon onéreux » alors que la fréquentation des visiteurs était en baisse notable.
« Lorsque les gens voient un stand vide, notre marque en souffre », a expliqué un exposant installé en Israël.
Pour expliquer la baisse de fréquentation, beaucoup ont évoqué la décision des organisateurs de prévoir le salon pendant la semaine, les privant de la fréquentation du week-end. Le salon JCK de l’année prochaine est programmé un week-end. Néanmoins, depuis quelques années, les acheteurs sont de moins en moins nombreux à fréquenter les salons – et pas seulement à Las Vegas.
Il faut aussi noter que la section diamantaire d’un salon commercial peut parfois paraître écrasante, avec son exposition interminable de stands de diamants et de certificats. Il est difficile de retenir des acheteurs qui déambulent dans les halls lorsque toutes les vitrines se ressemblent.
Pour réussir leur salon, les fournisseurs devaient organiser leurs rendez-vous à l’avance, trouver une façon de différentier leurs vitrines et, j’y reviens une fois de plus, présenter le service à valeur ajoutée qu’ils peuvent offrir à leurs clients.
Ceux qui ont procédé ainsi sont repartis de Las Vegas avec un sentiment positif sur le marché car le salon comptait des acheteurs sérieux.
Par conséquent, on a toujours le sentiment que les fournisseurs doivent être à Las Vegas début juin.
« Autrement, la vente ira à quelqu’un d’autre, a indiqué Charles Rosario. Le salon est une occasion de prendre des rendez-vous, voir des clients et sentir le marché. C’est un mal nécessaire. »